Cathéchèse du vendredi 19 aout
"Vivre dans le monde en veritables adorateurs de Dieu"




« Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent, dans leur pays, par un autre chemin » (Mt 2, 12)

Frères et Sœurs, on ne sort pas indemne de la rencontre avec le Christ.
Adorer en esprit et vérité change son homme... et sa femme.
Certes, ce qui est dit des Mages dans l'Evangile de Matthieu conduit à penser que c?est pour éviter la violence d'Hérode qu'ils sont invités à prendre un autre chemin.

Mais eussent-ils pris le même ils auraient été spirituellement différents. Et je souhaite que vous rentriez chez vous différents parce que vous aurez commencé à rencontrer le Christ.

Permettez moi ici d'avoir une pensée pour Jean-Paul II. J'ai assisté à toutes les J.M.J. (sauf celles de Buenos Aires) et si j'avais a en résumer l'enseignement, je dirai que les J.M.J. étaient, pour lui, l'occasion de lancer un formidable appel à la sainteté. A chaque étape, il demandait aux jeunes de rencontrer le Christ, d'adhérer à lui et de devenir saints. Chaque fois je ne pouvais m'empêcher de penser que le programme, qu'il proposait aux jeunes, était aussi le sien propre : sa foi était suffisamment grande pour qu'il ait eu l'ambition de devenir saint, non pour la gloriole bien sûr, non en comptant sur ses propres forces, mais « simplement » parce qu'il prenait au sérieux les promesses du Christ et qu'il puisait dans l'Eucharistie la force du combat. « Comme cette eau se mélange au vin pour le sacrement de l'unité, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ». Cette prière de la messe me semble résumer son ambition pour lui et pour nous.

N'en doutez pas, Jean-Paul II a choisi le thème de ces J.M.J. en cette année de l'Eucharistie pour vous appeler vous, chacun d'entre vous, a être de vrais adorateurs en esprit et en vérité : à être des saints.

Vous ne pouvez pas être fidèles à la mémoire de Jean-Paul II si vous n'entendez pas cet appel.

Ne dites pas la sainteté est pour les autres. Vous êtes, comme je le suis, faibles, traversés par mille tentations, marqués par le péché, mais je vous en supplie, ne croyez pas que la sainteté est pour les autres, pour sainte Ursule, saint Boniface, Adolphe Kólping ou Edith Stein, pour Mère Teresa ou pour Jean-Paul II... Croyez qu'elle est pour vous !

Entendez Paul vous dire, comme il l'a dit aux chrétiens de Corinthe non pas en regardant leurs vertus, mais en considérant leur baptême et leur participation à l'Eucharistie : « Ne savez vous pas que vous êtes le Temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous... Le Temple de Dieu est saint, et ce temple c'est vous » (I Cor 3, 16).

Dans la Bible, la sainteté est un attribut de Dieu. Les disciples du Christ peuvent être appelés saints (I Cor 1,2) non parce qu'ils auraient déjà acquis une perfection morale mais parce qu'ils sont baptisés dans l'Esprit Saint, c'est-à-dire au Corps et au Sang de celui qui est saint Jésus-Christ.

Par sa sainteté, Dieu présente deux faces inséparables : il est totalement unifié en lui-même et il est totalement donné. Le chemin de sainteté de l'homme consiste à devenir ce que l'on est par adoption : Fils de Dieu, totalement unifié en soi-même et totalement donné.

Le chemin de la sainteté est un chemin de découverte de soi. Le premier homme de l'histoire de l'humanité qui ait écrit des mémoires autobiographiques, Saint Augustin, dans les Confessions, décrit parfaitement le chemin à parcourir.

La première étape de ce chemin est de découvrir sa dispersion. Celui qui cherche qui il est, quelle est sa place dans le monde, redoute la vie s'il est pusillanime ou se lance dans de multiples expériences pour se sentir vivre et, dans l'un ou l'autre cas, le péché n'est pas loin.

Saint Augustin fait cette expérience et il confessera à Dieu, une fois qu'il l'aura trouvé : « Toi, tu étais devant moi, mais moi j'étais parti loin de moi et ne me trouvais plus moi-même » (Confessions 5, 2). Dispersé, agité, désaxé, désorienté, saint Augustin cherche le secret du bonheur et s'enfonce dans l'absurdité car il résiste à Dieu : « aimant la vie heureuse, je redoutais de la trouver là où elle réside et c'est en fuyant loin d'elle que je la cherchais (Confession 6, 11) et il ajoute : « Voilà que j'étais devenu une immense question pour moi-même » (Confessions 10, 33).

Saint Augustin finit par accepter l'appel de Dieu... et il va trouver la paix : « Tu nous as orientés vers Toi et notre cœur est sans repos tant qu'il n'a pas trouvé son repos en toi » (Confessions 1, 1). Cette paix, elle vient lui permettre de se sentir être, enfin, lui-même : « Sous ta conduite, j'entre dans l'intimité de mon être. Je l'ai pu parce que tu t'es fait mon soutien » (Confessions 7, 10).

« Je me suis éveillé en toi? » (Confessions 7, 14). Ce cri de joie est celui du saint. Il répond à l'appel lancé par un des plus anciens cantiques chanté lors du baptême des premiers chrétiens « Eveille toi, toi qui dors. Lève toi d'entre les morts et le Christ t'illuminera (Eph 5, 14). S'éveiller à soi-même c'est trouver Dieu en soi ! C'est laisser Dieu continuer à nous créer à notre pleine dimension. C'est se savoir accepté, que dis-je, voulu de toute éternité par celui qui quête notre amitié.

Votre pleine dimension est celle de la liberté. Je sais bien que le mot est ambigu... et qu'il veut dire souvent la possibilité de faire n'importe quoi... et de trouver cela bien. La liberté chrétienne n'est pas de cet ordre. Elle consiste à devenir pleinement soi-même, à être libéré de ce qui nous empêche d'être totalement unifié en nous-mêmes ; saint Paul détaille : colère, irritation, méchanceté, grossièreté, débauche, infidélité... et il doit en oublier.

Cela dit, dans notre monde il est difficile quelques fois de savoir ce qu'il convient de faire ou ne pas faire, de savoir les limites entre le bien et le mal, entre ce qui libère et ce qui entrave.

Le chemin de la sainteté exige de la rigueur : ce n'est pas parce que tout le monde le fait que cela est bien, ce n'est pas parce que cela est moderne que cela est bien, ce n'est même pas forcément parce que cela fait plaisir que cela est bien...

Le chemin de Dieu est étroit et il demande, pour être suivi, de la réflexion, de l'écoute de la Parole de Dieu, de l'écoute de l'Eglise. Nous avons tous, même lorsque la culture ambiante dégrade la surface de notre conscience, nous avons tous, en nous, une sorte de mémoire du bien qui ? lorsqu'on lui permet de s'exprimer ? nous guide vers nous-mêmes. Rencontrer le Christ, l'adorer, nous permet d'entendre ses appels.

Le chemin de la sainteté est un chemin de découverte de l'autre.

Si le Christ se donne en nourriture c'est pour réunir l'humanité. On ne mange pas de la même manière seul, en famille ou entre amis. Manger est une fête lorsque le repas signifie une communion. Et si l'Eucharistie est un repas, celui de l'Alliance nouvelle, c'est pour nous inviter à respecter la charte de cette alliance : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Parler d'amour est aujourd'hui très populaire. On aime l'amour. On chante l'amour... Mais contrairement à la Bible, l'amour que l'on chante avec les mots mêmes des chrétiens, n'est qu'un ersatz, une idole... On aime aimer, on ne sait plus toujours ce à quoi engage d'aimer. L'amour est devenu tyrannique et c'est en son nom que beaucoup cassent la vie de leur conjoint, de leurs enfants, de leurs parents ou de leurs amis. On aime l'amour. On n'aime pas l'autre.

L'amour que nous apprend le Seigneur qui se livre dans l'Eucharistie, comment en parler ? Peut-être d'abord très modestement comme le faisait les premiers chrétiens en s'inspirant à la fois des penseurs grecs et de la Bible... Quelques années après la mort du Christ un livre qui s'appelle la « doctrine des douze apôtres », la Didaché, commence ainsi : « Il y a deux voies : l'une de la vie et l'autre de la mort mais la différence est grande entre les deux voies ». Pour la Didaché la voie de la vie consiste à aimer Dieu le Créateur et le prochain comme soi-même, c'est-à-dire à appliquer la règle d'or : « tout ce que tu ne veux pas qu'il te soit fait, toi, non plus, ne le fais pas aux autres » (1, 2). Le Christ renverse même cette formule traditionnelle : « tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites le vous-mêmes pour eux » (Mt 7, 12-14).

Il faut beaucoup de force pour se mettre à la place d'autrui et de savoir ce qu'il aimerait recevoir ! Il faut se dire, si j'étais lui, qu'aimerai-je ?
Si j'étais son élève ou son subordonné, j'aimerai qu'il soit compétent, juste, respectueux.
Si j'étais son professeur, ou son chef j'aimerai qu'il me regarde comme un être humain.
Si j'étais son partenaire, j'aimerai qu'il respecte ma liberté et soit ni trop loin ni trop près.
Si j'étais musulman, j'aimerai qu'il connaisse ma foi et ne fasse pas semblant d'être d'accord avec moi et qu'il me respecte.
Si j'avais faim, j'aimerai qu'il me donne à manger sans me faire perdre ma dignité.
Si j'avais de la haine, j'aimerai qu'il comprenne et soit prêt à pardonner.
Si j'avais besoin d'amitié, j'aimerai qu'il comprenne que l'argent ne libère pas de la tâche d'être homme.

A vrai dire je crois que l'exercice est bon et qu'il indique un chemin vers la sainteté, mais il faut le dépasser parce qu'il n'est pas forcément bon d'imaginer ce qui fait plaisir aux autres... il faut quelques fois y renoncer : je pense que Dieu a souvent renoncé à nous imaginer pour nous prendre tels que nous sommes... Pour autant, beaucoup attendent de nous ce que nous ne pouvons, ou ne devons, leur donner : là aussi il faut savoir renoncer à nous prendre pour Dieu, capable de tout savoir et de tout résoudre.

La voie de la règle d'or ne dit pas le tout de l'Evangile, même si elle est déjà un chemin extraordinairement difficile. Mais elle ne va pas assez loin si nous ne percevons pas que l'Eucharistie nous demande de construire avec tous nos frères une communauté humaine : le corps du Christ est le sacrement de l'unité du genre humain et y participer nous indique un programme d'autant plus actuel chez nous qu'il semble urgent.

La mondialisation, les migrations, l'évolution du sens de la communauté humaine, la nation, la Patrie, l'ethnie font qu'il est urgent pour les chrétiens de se préoccuper du lien social... de cette acceptation de quelque chose qui dépasse les uns et les autres et fait que l'on est prêt à partager, à se sacrifier, à payer des impôts pour l'autre, même si c'est quelqu'un que nous aimons pas.

A chaque Eucharistie nous manifestons notre foi dans l'Esprit du Seigneur capable de rassembler tous les hommes, toutes les personnes sans exclusion... A nous de mettre cela en pratique dans la vie de nos associations, de notre travail, dans les pots entre amis... dans l'aide à ceux qui ont besoin d'être aidés, dans la considération portée à tous et surtout à chacun.

Le chemin de la sainteté est un chemin de vérité.

Je vous ai appelé à l'ambition et à la sainteté. Je vous ai dit que sur ce chemin, vous vous découvrirez vous-même et découvrirez l'autre. Mais je ne vous ai pas tout dit !

Jacques et Jean, étaient des apôtres qui avaient du caractère... et de l'ambition. Ils voulaient être totalement associés au Christ. Jésus ne les en blâme pas. Mais il leur en dit le coût. Il leur demande : « Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire ou être baptisé du baptême dont je vais être baptisé ? Ils lui disent : nous le pouvons. Jésus leur dit : la coupe que je vais boire, vous la boirez et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés » (Mc 10, 38-39). Evidemment Jésus faisait allusion à sa passion, à sa crucifixion, à ses souffrances.

Et à chaque fois que nous communions au corps du Christ nous annonçons la mort du Seigneur et nous acceptons de nous y associer.

Le Christ - pas plus que le chrétien - n'aime la souffrance pour la souffrance, n'aime la persécution pour le plaisir d'être persécuté, mais le chemin du Christ est celui de préférer la vérité de l'homme et la vérité de Dieu à n'importe quel mensonge de compromission.

Notre chemin est d?en témoigner par notre vie. Témoignage traduit un mot grec qui se transcrit « martyr ». Le chemin de l'Eucharistie et de l'adoration est un chemin qui conduit au témoignage et parfois au martyre.

Le Concile Vatican II cite à dix reprises le mot martyre et il ajoute : que si cela n'est donné qu'à un petit nombre, tous cependant doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, au milieu des persécutions qui ne manquent jamais à l'Eglise (Lumen gentium 42).

Le catéchisme de l'Eglise catholique ajoute : « Le martyre est le témoignage rendu à la vérité de la foi » (2473).

L'autre chemin par lequel je vous invite à suivre les Mages est celui de la vérité. Ce n'est pas un chemin à la mode. Ce n'est pas un chemin commode. « Qu'est-ce que la vérité » demande Pilate à Jésus (Jn 14, 38). Jésus ne répond pas parce que Pilate ne peut entendre la réponse : la vérité est relation.

Beaucoup de gens croient que la vérité est dite lorsque l'on dit deux et deux font quatre. Cette équivalence est fonctionnelle. Personne ne mourrait pour cela. La vérité, nous la découvrons un peu lorsque nous avouons notre faute et que nous essayons de rétablir la relation avec celui qui a été offensé, la vérité nous la découvrons encore plus lorsque nous nous risquons à dire « je t'aime » à quelqu'un sur nous aimons. La vérité engage. La vérité est relation. D'une certaine manière, sainteté et vérité sont deux mots qui désignent la même qualité de relation.

Dans notre monde beaucoup affirment que toutes les religions se valent et que parler de vérité créé des fanatismes, qu'après tout, du moment qu'il ne fait de tort à personne chacun peut adorer son nombril, son blogue, sa moto ou le pouvoir. Ah ! que la tolérance est à la mode ! Mais la tolérance peut masquer une violence qui reste intacte, peut cacher un mépris de l'autre que l'on juge incapable ou peu à la hauteur. Elle peut même cacher un désespoir devant la vérité. Jésus n'est pas tolérant, il est aimant.

Jésus ne s'est jamais servi d'une vérité abstraite comme bouclier ou comme arme offensive. Les seuls personnages auxquels il s'est opposé sont les chefs religieux qui faisaient d'une Loi morte le fondement de leur religion alors qu'elle aurait dû être une pédagogie de la rencontre et de progrès dans la relation entre Dieu et les hommes. Partout, toujours, Jésus a essayé d'établir des relations, de guérir, d'admirer et de révéler, même à l'ennemi héréditaire, le samaritain, qu'il pouvait être une image de Dieu. Mais cette volonté de rencontre ne l'a jamais amené à transiger sur le respect de l'homme, sur le respect de Dieu. Et nous ne pouvons être chrétien qu'en le suivant éventuellement jusqu'à la passion pour témoigner de ce double respect.

Je sais que Jésus était silencieux à la crèche et sur la croix, je sais qu'il est resté tout aussi silencieux à Nazareth... mais je sais aussi que nous ne pouvons pas être chrétiens sans témoigner de la vérité. Témoigner dans la trame de notre vie quotidienne comme Paul qui affirme : « tous les jours je suis exposé à la mort » (I Co. 15, 31), témoigner de manière plus spécifique si nous sommes appelés à des vocations spécifiques : la vie monastique, le célibat pour Dieu ont souvent été reçus comme des substituts au martyr du sang.

De toute façon la vie chrétienne expose au sarcasme, voire à des difficultés plus importantes : tous ceux qui veulent vivre avec piété seront persécutés (2 Tm 3, 12) ; plus profondément toute vie chrétienne puise, dans l'Eucharistie, la force de s'offrir. Saint Polycarpe (au 1er siècle) s'offre au martyre en disant : « Père du Fils bien aimé et béni Jésus-Christ, je te loue parce que tu m'as jugé digne de prendre part au nombre des martyrs, dans le calice du ton Christ, pour la Résurrection, dans la vie éternelle du Corps et du Sang, dans l'incorruptibilité de l'Esprit Saint » (Cité par Eusèbe HE IV 15, 33).

Avoir rencontré l'amour du Christ conduit à tout lui donner. Comment ici ne pas terminer en évoquant Edith Stein, cette femme, juive qui était athée à votre âge, qui a été convertie à 31 ans, entre au Carmel de Cologne en 1933, arrêtée le 2 août 1942 et achève sa vie, assassinée à Auschwitz le 9 ou 10 août 1942. Le 14 septembre 1939, pressentant en grande intellectuelle qu'elle était, ce qu'allait être l'enfer nazi, elle écrivait : « Veux-tu rester fidèle au Crucifié ? Réfléchis bien. Le monde est en flammes... Prendre parti pour le Christ peut te coûter la vie. Pèse bien ce à quoi tu t'engages. C'est le cœur aimant de ton Rédempteur qui t'invite à le suivre.

Le monde est en flammes. Le feu peut aussi bien embraser notre maison, au dessus de toutes les flammes se dresse la croix que rien ne peut consumer. Elle est le chemin de la terre au ciel »...

C'est ce chemin que j'ai cherché à vous indiquer pour rentrer chez vous. Il n'en est point d'autre. « A qui irions-nous ? Toi seul a les paroles de la vie éternelle ».

Mgr Dubost,
Evêque d'Evry-Corbeil-Essonnes


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